Lorsque les oeillières servent de cadre de pensée :
Ogée rapporte de façon honnête la discussion suivante, à propos de Mr de la Sauvagère et de Mr de Caylus :
Cette opinion de ce
camp de César a été combattue par un des plus savants antiquaires qu'ait jamais eus la France. C'est M. le comte de Caylus, qui s'exprime ainsi, au sixième volume de ses Antiquité, page 380 : " M. de la Sauvagère, ingénieur en chef, a donné une dissertation sur quelques monuments de ce genre que l'on voit sur la côte de Bretagne. ... L'auteur est savant dans son art, et l'ouvrage, fait en homme du métier, présente le caractère de l'intelligence et celui de la vérité. ... Malgré l'éloge qu'il mérite, je craindrais qu'il fût capable d'induire en erreur sur quelques points. Mais comme il ne suffit pas de dire : Je suis d'un tel avis, et qu'il faut en donner les raisons, surtout quand il s'agit de contredire un auteur que l'on considère, je commencerai par adopter servilement sa description, persuadé qu'on ne pourrait en faire une plus exacte et plus claire, et je ne m'écarterai de son sentiment qu'à propos de l'usage qu'il attribue à ces monuments, et de l'origine qu'il leur suppose. La justice que je rends à M. de la Sauvagère est encore fondée sur la justesse de ses vues, par rapport à la position de César avait prise dans la guerre qu'il fit au peuple
Veneti, pour juger des manœuvres de sa flotte, commandée par Brutus, et qui sortait de la Loire : cette position le mettait en état de concerter les mouvements de ses troupes de terre avec ses vaisseaux." Et à la page 384 : "Voici ma réponse aux opinion de M. de la Sauvagère : Ces pierres, ou cs rochers de Carnac, peuvent porter le nom de
camp de César, par une tradition qui a pu se conserver, d'autant que César a véritablement campé dans ce terrain, dans le temps qu'il attaquait les
Veneti. D'un autre côté, cette dénomination ne prouve absolument rien; les peuples de nos provinces ont contracté depuis long-temps l'habitude de donner ce nom à tout ce qui se rapporte à la guerre, et ce qui leur paraît ancien.
L'arrangement de ces pierres ne présente point la disposition, je ne dis pas d'un camp romain, mais de quelque camp que ce soit, puisque les lignes d'enceinte ont plus de vide que de plein, et que les intervalles, à peu près égaux, sont disposés en quinconce. Quelque sentiment que l'on veuille adopter, on ne peut accuser cet assemblage de monuments de peu de conversation; de plus, on n'a jamais fait des efforts semblables pour abriter des tentes contre la force du vent, comme l'auteur le prétend. Quelques travaux que les soldats romains fussent dans l'habitude d'exécuter pour camper et se retrancher, ils n'ont rien laissé de pareil : je soutiens même, sans crainte d'être contredit, qu'il leur aurait été impossible de faire un tel ouvrage, qui d'ailleurs ne représente ni la forme, ni la disposition qu'ils mettaient constamment à leur camp, lorsque la nature n'y mettait point d'obstacle. Ils ont pu employer ces rochers à l'usage que leur donne M. de la Sauvagère, puisqu'ils les trouvaient placés; mais cette conjecture n'est d'aucune importance par rapport au fait. Quoi qu'il en soit, la distance éloignée et continue, en quelque façon, à laquelle on retrouve ces pierres, tantôt éparses et tantôt réunies, et même différentes dans leurs formes, m'engage à dire que ces amas de pierres énormes, et leur disposition, ne peuvent avoir aucun rapport avec un camp".
Il ajoute à la page 386 : "La quantité de ces pierres, qui ne sont point l'ouvrage d'un petit nombre d'années, prouve notre profonde ignorance sur les anciennes révolutions de la Gaule; car je suis bien éloigné de donner ces monuments aux anciens Gaulois : je suis, en ce point, de l'avis de M. de la Sauvagère; les monuments mêmes certifient que les Gaulois ne peuvent y avoir aucune part, etc".
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Qu'à retenu Ogée de cela ?
Ceci :
"Mais, en conservant pour un grand homme tout le respect qu'on doit à sa mémoire, nous hasarderons notre façon de penser, parce que nous savons que l'opinion publique est un champ libre qui appartient à tous les hommes, surtout lorsqu'il ne s'agit pas de choses relatives à la foi. Nous pensons donc,
et nous disons, avec M. le la Sauvagère, que le camp de Carnac est dû aux troupes de Jules César, et que les alignements de ces hauts rochers, bien loin de détruire notre opinion, comme le prétend M. le comte de Caylus, la confirme de plus en plus. Polybe dit positivement que l'usage des Romains était de placer leurs tentes sur une même ligne, et que, lorsque l'armée était obligée d'hiverner, ils les couvraient de planches; c'est-à-dire qu'ils faisaient ce que nous appelons se baraquer; et ces pierres n'avaient été posées que pour soutenir des baraques. Quel autre motif eût pu inspirer, à telle autre nation que ce soit, le désir d'élever ces pierres sur une même ligne ? Quelle religion, parmi les anciens peuples païens, adopteraient ces arrangements ou ces décorations bizarres ? Quelle utilité en auraient pu retirer des particuliers ? A quel usages pouvaient-ils les destiner ? D'ailleurs, en admettant que ces pierres avaient été placées là par superstition ou obligation de culte, il faut admettre qu'elles existaient avant Jules-César, et même avant les peuples qu'il subjugua, puisque la religion des Gaulois armoricains n'était pas différente de celle de leurs voisins, chez lesquels on n'a jamais trouvé de pareils monuments. César, qui a si bien peint les mœurs et la religion des Gaulois, nous aurait donné des détails sur l'usage de ces pierres. C'était donc un peuple séparé du reste de la nation, et bien plus ancien que les Gaulois du temps de César, qui les avaient placées. Mais comment s'est-il pu faire que ce conquérant, qui les vit sans doute, puisqu'il resta très-long-temp dans l'endroit, n'en ait pas parlé ? Ce monument devait l'intéresser, exciter sa curiosité. Pourquoi donc n'en a t'il pas fait mention ? Ce n'est pas depuis les conquêtes de César que ces pierres ont été posées; car les Vénètes ne changèrent très-surement pas de religion dans l'espace qui s'écoula depuis leur défaite jusqu'au moment qu'ils eurent le bonheur de recevoir l'Évangile. Avouons donc que le courage seul des Romains était capable d'une telle entreprise. Ils ont laissé des monuments bien admirables en d'autres endroits etc "
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En substance, il me semble que ce propos n'est pas celui d'Ogée, qui semble pour l'essentiel de son oeuvre être un humaniste, mais celui d'un conseiller fanatique (=obscurantiste) chrétien de son époque qui fait référence au "
bonheur de recevoir l'Évangile".
Ogée se serait laissé déborder par les
illuminations de l'un de ses conseillers ou commentateurs.
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Qui, aujourd'hui, au vu de l'évolution de la connaissance historique et archéologique, pourrait contredire les propos de Mr de Caylus ?
Ne rendons donc pas à César ce qui ne lui appartient pas, mais rendons hommage à Mr de Caylus d'avoir exprimé, en son époque, des pensées non dogmatiques, et largement avérées depuis.
JCE