Ur skouer e Perwenan
Conté par Lise Bellec, recueilli par Anatole Le Braz
...Saint-Gildas a son sanctuaire dans la petite île rocheuse qui porte son nom et ferme l'entrée du port vers le Nord-Est. Les bretons l'appellent: "Gueltaz" ou "Gueltraz". La chapelle abritée contre les vents par un rideau de vieux ormes, un bouquet de pins et d'énormes entassements de rochers, est peut être avec la tour Saint-Gonéry, en Plougrescant, un des plus anciens édifices religieux que nous ayons en Bretagne. C'est d'ailleurs une lourde construction, sans style solidement cimentée et qui semble se confondre, roche elle-même, avec les rochers qui l'avoisinent. Rien à l'intérieur, qu'un autre massif et une archaïque statue de Saint en costume d'abbé.
Une autre représentation du même personnage est placée dans un édicule à claire-voie bâti au Sud de la chapelle principale et où se pratique la "cérémonie du pain".
Voici en quoi consiste cette cérémonie: Le jour du pardon de Saint-Gildas qui se célèbre le dimanche de la pentecôte, des femmes viennent s'installer aux abords du sanctuaire, avec des corbeilles pleines de pain coupé par tranches égales. Elle vendent un sou chaque tranche, aux pèlerins qui emportent ce pain à la chapelle et le confient à l'un des deux hommes placés pour cet office, de part et d'autre de la statue du Saint.
L'homme le frotte par trois fois contre le ventre de la statue, en procédant alternativement de bas en haut, et de haut en bas, puis le rend au pèlerin ou à la pèlerine en disant "Sant-Weltaz d 'ha pinnigo " (que Saint-Gildas vous bénisse). Ce pain est dès lors consacré, la vertu du Saint est en lui. De retour parmi les siens, le pèlerin en distribue un morceau à tous les gens de sa maison, qui doivent faire le signe de la Croix avant de le manger. C'est un préservatif puissant contre la fièvre.
Il n'est pas bon de distribuer tout le pain, il convient d'en garder au moins la croûte, qu'il faut ramasser précieusement au fond de la grande armoire. "Qui a chez lui, du pain de Saint-Gildas, n'a à craindre pour son logis, ni le feu de la fièvre, ni le feu du ciel, pour sa famille, ni les maladies contagieuses ni les accidents, pour ses bêtes, ni les herbes mauvaises ni les maléfices des sorciers, pour ses champs, enfin ni la grêle, ni aucun autre fléau".
Ce qui prouve d'ailleurs que le pain possède des facultés miraculeuses, c'est que, le laissât-on des temps indéfinis dans l'armoire, il ne moisit jamais et jamais ne se dessèche. Il est même passé en proverbe de dire de quelqu'un qui garde, malgré les années, bel air et bonne mine: "Héman zo velbara Sant Weltraz, cosçad ha chomm fresk".(celui-ci est comme le pain de Saint-Gildas , il vieillit et reste frais).
Une autre propriété de ce pain est qu'il sert de talisman contre la rage. Il suffit d'en avoir un morceau dans sa poche quand on se met en route, pour n'avoir rien à redouter des chient enragés que l'on rencontre. Le chien malade, dès qu'il sent l'odeur du pain de Saint-Gildas, s'aplatit sur le sol, rampe et fuit, en poussant des hurlements de douleur. Que si on lui fait voir le pain, il se précipite dans la direction de l'île, comme attiré par une force irrésistible, par un aimant. Il y en a qui se noient à vouloir gagner la chapelle à travers la mer haute.
Ceux qui parviennent au sanctuaire en font trois fois le tour en agitant leur queue et en gémissant, puis se couchent auprès de la porte et crèvent sur place. Même lorsque la rage s'est déclarée chez une personne, le pain de Saint-Gildas suffit à la guérir. La chose arriva pour une de mes grand'tantes. Elle avait été mordue par un jeune chien et n'y avait prêté aucune attention. Neuf mois et neuf lunes passèrent sans qu'elle ressentit aucun mal, car ce n'est qu'à la neuvième lune que la rage se déclare, comme il est dit dans une vieille complainte dont je n'ai retenu que quelques vers: il y est question d'une jeune fille que sa mère forçait à épouser un homme atteint du fléau. La jeune fille suppliait sa mère en ces termes: "Ma pauvre mère, si vous m'aimez, je ne serai pas encore mariée, jusqu'à ce qu'il y ait neuf mois échus et neuf lunes passées". Quand l'accès prit ma grand-tante, on essaya d'abord de la faire mourir doucement, en lui plongeant la jambe dans un seau d'eau tiède et en lui ouvrant une des veines du pied pour laisser couler le sang jusqu'à ce qui lui en restât goutte...II fallut ensuite recourir au moyen le plus prompt et le plus énergique qui consistait à étouffer le pestiféré entre deux matelas. Déjà on avait étendu de force la pauvre femme sur une couette de varech et on allait en jeter sur elle une autre, que quatre hommes vigoureux s'apprêtaient à maintenir de tout leur poids, quand mon père, que ce spectacle faisait pleurer, proposa d'essayer de faire avaler à la malade un morceau de pain de Saint-Gildas .
"C'est bon avant, mais non après, répondit quelqu'un. Et puis, répartit un autre, comment lui desserrer les dents sans risquer de se faire mordre? Essayons toujours, insista mon père, je vais appeler le forgeron ". Le forgeron qui était aussi dentiste, vint avec un outil en fer. Il ouvrit la bouche de ma grand tante et la tint ouverte Jusqu'à ce que mon père y eut fait tomber quatre ou cinq miettes de pain consacré. La malade les avala malgré elle, et, immédiatement se calma. On la garrotta néanmoins dans son lit, par mesure de précaution et on l'y laissa plusieurs jours. Au bout de ce temps on lui ôta ses liens: elle était guérie"