Bonjour,
J’avais été mis sur la piste de cet “almanak” par le volume 4 des “Kontadennoù ar bobl” de Luzel, édité par Al Liamm en 1989.
Ce volume, qui regroupe les contes avant donné lieu à une publication en Breton du vivant de Luzel contient en effet 2 contes tirés de cet almanach.
J’en ai récemment trouvé un fac-simile sur Google-books (
lien).
Aucun nom d’auteur, ni de contributeur n’est indiqué. On y retrouve les 2 contes en question, ainsi que des poèmes, dont 3 au moins sont incontestablement de la main de Luzel, ayant été publiés ailleurs sous son nom.
Le reste du texte, au moins en partie, porte des “marqueurs” linguistiques typiques de la langue de Luzel, qui semblent indiquer qu’il en est l’auteur, ou du moins le traducteur : En plus des “tregorismes” habituels, comme “ewit, iwe, lâret, beure, otro, pluriels en -o”, on trouve des mots et expressions comme “un/ur, pour eun/eur", comme dans “Koadalan”, "kouksgoude", pour "koulskoude", "ur wez" pour eur "wech", "den a-bed" pour "den ebed", "a em", pour "en em", emploi systématique de la particule verbale “a” au lieu de “e”...
On trouve dans une lettre de Luzel à Renan, datée du 16/10/1871:
"
Nous avons pris la résolution de publier un almanach breton pour l’année 1872. — Ce sera une brochure de cent et quelques pages, renfermant un peu de tout ; quelques notions sur l’agriculture et l’hygiène, un résumé des événements les plus marquants des années 1871-72, la biographie de Mr Thiers, un conte ou deux, des proverbes, des poésies patriotiques, — le tout en breton. Notre but est d’inspirer à nos paysans l’amour de la lecture, en nous adressant à eux dans leur langue nationale, et en leur mettant entre les mains des livres qui puissent les instruire et les intéresser, au lieu des choses bêtes et abrutissantes qu’on leur distribue généralement. Nous voudrions arriver, par ce moyen, à faire, plus tard, un journal breton, qui fût, en quelque sorte, le guide et le conseiller de la ferme, et où l’on trouverait, en termes clairs et simples, les choses les plus indispensables pour apprendre à nos bas-bretons leurs droits et leurs devoirs, et leur inspirer l’amour de la grande patrie française."
La langue de l’”Almanak” est une sorte de “brezhoneg beleg” républicain plein de gallicismes. On trouve un “pehini” ou un “pere” toutes les 2 lignes, mais on en trouve aussi dans les contes de Luzel.
Elle hésite entre Léonais et Trégorois. On trouve parfois un pluriel en “o” et en “ou” dans la même ligne (ho kwiriou hag ho dleio).
Les termes qui pourraient être mal compris sont traduits en français entre parenthèses, ce qu’on retrouvera plus tard dans des revues comme “Dihunamb”. On trouve quelques néologismes parfois audacieux, comme “penn-sturier” pour “président”.
L’auteur insiste sur la nécessité d’apprendre à lire et de s’instruire, et témoigne d’un grand respect et d’une grande confiance dans le peuple, ainsi que d’un profond attachement pour la langue bretonne.
L’article “Ur gir war iez ar vretoned” tente de vulgariser des notions de linguistique que l’on trouve habituellement dans la “Revue Celtique”, qui a commencé à paraitre en 1870, et à laquelle Luzel collaborait.
Quelques extraits :
“Mar roomp d’ehoc’h ann ali da ziski holl lenn ha skriva en Gallek, na eo ket dre m’hon eûz c’hoant d’ho kwelet hoc’h ankouat ar Brezonek : oh ! nann a-vad ! Dalc’het-mad bepred da iez koz ho tado ; hogen disket iwe ar Gallek, abalamour ma kavfet muioc’h a levrio mad war bep-tra en Gallek eget en Brezonek, hag iwe dre ma ’z eo mad gouzoud ouspenn ur iez : ur Breton hag a oufeo he iez hag hini re C’hall, a vezo gwiziekoc’h eget ur Gall ha na oufeo nemet he iez.”
“Si nous vous conseillons à tous d’apprendre à lire et à écrire le Français, ce n’est pas parce que nous voulons vous voir oublier le Breton : oh, certainement pas ! Soyez toujours fidèles à la vielle langue de vos ancêtres ; mais apprenez aussi le Français, car vous trouverez plus de bons livres sur toutes sortes de sujets en Français qu’en Breton, et aussi car il est bon de connaître plus d’une langue : Un Breton qui connaîtrait sa langue et celle des Français sera plus savant qu’un Français qui ne connaîtrait que sa langue.”
“Bretoned, dalc’het-mad bepred d’ho iez koz, rag unan eo euz ann traou ar muia talvouduz a gement a zo en Franz.”“Bretons, soyez toujours fidèles à votre vielle langue, car c’est une des choses les plus importantes (au plutôt, précieuces, de valeur) qu’il y ait en France.”
Les articles politiques témoignent d’idées républicaines.
On y trouve un récit de la guerre de 1870, qui insiste sur la conduite héroïque des “mobiled ar Finister”, un portrait élogieux d’A. Thiers, ainsi qu’une diatribe contre la commune de Paris (ar gommun miliget !), comme quoi, ce profond ressentiment contre “paotred ar gommun”, considérés comme une bande de vauriens et des traîtres à la patrie, n’était pas l'apanage des conservateurs légitimistes et cléricalistes.
Pour allez plus loin, quelqu’un a-t-il des infos sur le “nous” dont parle Luzel dans sa lettre, et les circonstances de la parution de cet almanach ?
(Il est clair que si Luzel est l’auteur des articles politiques, il n’est probablement pas - ou alors simplement traducteur - celui des conseils aux agriculteurs sur les légumes d’hiver ou les coliques des chevaux !)
A suivre...
Liens :
- Le fac-simile :
Sur google books, en pdf :
http://books.google.fr/books?id=ToQNAAAAQAAJ&dq=almanak%20breiz-izel&hl=fr&pg=PT8#v=onepage&q=almanak%20breiz-izel&f=falseet sur Wikimedia commons, en djvu :
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Almanak_Breiz_Izel_%281872%29.djvu- Les lettres de Luzel on été publiées dans les années 1930 dans les “Annales de Bretagne”, disponible sur “Persée” :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391x_1934_num_41_1_1716- La transcription de l’
Almanak sur wikimammenn (travail en cours) :
https://br.wikisource.org/wiki/Meneger:Almanak_Breiz_Izel_%281872%29.djvuYann-Fañch